Le bruit et la fureur, William Faulkner – 1972 – Ed. Folio, 372 p.
21-05
J’avais été prévenue, les romans de Faulkner sont compliqués et il est difficile de garder le rythme. Maurice-Edgar Coindreau nous le dit même dans la préface qu’il a rédigée pour Le bruit et la fureur en 1937 : ne pas réussir à comprendre l’intégralité de l’œuvre du premier coup est normal. Il faut dire que Faulkner s’amuse de nous, lecteurs. Un même prénom pour deux personnages différents, des intrigues implicitement racontées, des voyages à travers le temps…
Faulkner a reçu le Prix Nobel de littérature en 1949 pour ce roman. A travers cette intrigue familiale, nous suivons une famille déchirée du Sud, devenue pauvre, et qui nourrit de fortes rancœurs.
Résumé
1928, dans une famille du Sud des Etats-Unis. Une famille devenue pauvre, dont les membres se sont éloignés, détruits et se détestent. Caroline, la mère, se retrouve à vivre seule avec ses deux fils : Jason l’éternel cynique qui donne tout ce qu’il possède (du moins, quand il ne vole pas l’argent de sa sœur Candace) pour sa mère ; et Benjamin, le fils retardé mental. Autour d’eux, Quentin, la fille illégitime de Candace qui vit avec sa grand-mère et son oncle Jason. Découvrons ce qui a pu les éloigner…
Généalogie de la famille Compson
Jason Compson et Caroline Compson (née Bascomb) ont quatre enfants :
– Candace, surnommée Caddy ;
– Quentin ;
– Jason ;
– Maury, l’enfant retardé mental qui sera ensuite renommé Benjamin (ou Benjy) pour ne pas entacher l’image de son oncle Maury Bascomb.
Une troisième génération s’incruste dans notre histoire avec Quentin, la fille illégitime de Candace, qui est née de la liaison de sa mère avec un autre homme que celui qui va devenir son mari. Rejetée par ce dernier lorsqu’il découvre que Quentin n’est pas sa fille, Candace n’a pas les moyens pour élever sa fille qui est confiée à sa grand-mère qui va l’élever avec l’aide de son oncle Jason.
Benjamin, l’éternel enfant
Benjamin est né Maury. Il est retardé mental : il ne parle pas et ne s’exprime que par des cris. Pour ne pas entacher le nom de son oncle, il est renommé Benjamin. Benjy est le premier à prendre la « parole » pour nous raconter les scènes dont il est témoin. Tout commence le 7 avril 1928. La famille est réunie pour les funérailles de la grand-mère.
Benjy est constamment surveillé par la famille de nègres qui est au service des Compson. Il raconte son obsession presque malsaine pour sa sœur Caddy, dont il associe l’odeur à la nature, la pureté. Elle est la seule à savoir le calmer, et elle représente pour lui une image maternelle.
L’erreur de Candace
Nous parcourons le temps sur le deuxième chapitre et nous arrivons en 1910. Quentin, un des frères de la fratrie Compson, nous intègre dans ses pensées intimes. A l’intérieur les sentiments se bousculent. Pour Candace tout d’abord, pour laquelle il voue un amour incestueux.
Sa sœur va se marier, mais elle est enceinte. Malheureusement, le père de son enfant n’est pas son futur époux, mais un autre homme. A travers les pensées de Quentin nous comprenons que ceci est une grande déception pour lui, qu’il n’accepte pas la situation, sa sœur pourtant si pure. A travers son monologue intérieur, nous suivons la souffrance qui l’habite et qui va le mener à un acte terrible.
Jason l’enfant sacrifié
À la suite de cela, il reste Jason. Ce garçon rancunier et en souffrance, qui se considère comme sacrifié. Dévoué pour subvenir aux besoins de sa mère et de la jeune Quentin, fille de Candace, il est considéré comme un saint par sa mère, celui qui ne l’a jamais déçue. Il faut dire qu’il ne lui reste plus grand monde, à Caroline Compson.
Quentin est une jeune fille en souffrance, qui est interdite de voir sa mère. Elle grandit avec sa grand-mère et son oncle. Ce dernier se rapproche de ce qui est pour elle une figure paternelle. Néanmoins, peu aimant, cassant, blasé par une vie qu’il n’a pas choisie, il défoule sur la jeune fille son agressive autorité pour tenter de la remettre dans le droit chemin.
Mon avis sur l’œuvre
Eclairons un peu plus l’histoire
Il est très compliqué de résumer l’œuvre de Faulkner. Nous partageons les esprits de plusieurs protagonistes. L’histoire s’éclaircit à mesure que nous avançons dans notre lecture.
Le premier chapitre est un flou complet et reflète parfaitement l’esprit « simplet » de Benjy dont la maladie mentale le limite à s’exprimer par des hurlements.
Le deuxième chapitre nous fait rejoindre l’esprit torturé d’un jeune étudiant totalement déboussolé, malheureux, qui nourrit des sentiments incestueux pour sa sœur. Les pensées que nous suivons ne sont pas ordonnées, sont caractérisées par une absence de ponctuation, et nous fait ressentir le flux incessant des pensées incontrôlées.
Le troisième chapitre nous éclaire sur l’histoire. Grâce à Jason, dont la colère envers sa famille est clairement exprimée, nous comprenons les évènements qui ont mené à la destruction des Compson. Tout d’abord, le favoritisme qui a permis à Quentin à aller faire des études à Harvard. Un droit injuste lorsque Jason est « vendu » très rapidement à une entreprise commerciale dans laquelle il travaille et où il fera carrière. Puis, nous avons l’erreur de Candace, qui s’est mariée à un homme alors qu’elle était enceinte d’un autre, qui s’est ensuite faite virer par son mari. Incapable d’assumer seule sa fille, la garde de cette dernière est confiée à la mère de Candace, elle-même entretenue par Jason.
Le dernier chapitre, raconté par un protagoniste inconnu, nous plonge dans les difficultés dans lesquelles Quentin met son oncle Jason. Celle-ci décide de partir avec un comédien en volant à son oncle trois mille euros. Cette course-poursuite met en avant le caractère cynique et détestable de Jason, détruit par des années d’injustice qu’il semble supporter à bout de souffle.
Et d’un point de vue technique ?
La préface du roman nous permet de nous positionner sur l’histoire qui nous attend. Coindreau ne nous mentira pas, il ne faut pas se reposer une seconde dans cette histoire au risque de perdre des éléments essentiels de l’histoire. L’histoire nous est racontée implicitement, à travers les pensées des protagonistes. Nous parcourons le temps dans un sens déstabilisant (7 avril 1928, 2 juin 1910, 6 avril 1928, 8 avril 1928).
Néanmoins, nous avons ici un livre passionnant. Quel lecteur n’a pas apprécié achever et comprendre un livre compliqué ? C’est ici que la beauté de la littérature se positionne. Un écrivain qui se joue de nous, qui nous demande une concentration optimale, et qui nous surprend tout au cours de l’histoire.
Evidemment, ce livre est compliqué, il ne faut pas le commencer lorsqu’on cherche une lecture détente car ces 372 pages nous demandent un effort de concentration infaillible. Mais l’histoire est belle, elle est surprenante et vaut chaque page dévorée. La beauté de ce livre, c’est d’être capable d’accepter de ne pas tout comprendre et de lâcher prise. De lire, malgré l’incompréhension qui peut nous saisir, et d’aller jusqu’au bout. Ensuite, vous lirez des avis et vous direz « ah mais je n’avais pas compris ça ! ». Car même une fois le livre fermé, Faulkner continue de nous surprendre… 🙂
Conclusion
Je ne pensais pas avoir tant de choses à dire sur ce roman, et pourtant ! Faulkner m’a beaucoup appris, tout en me perdant parfois dans le fil de son histoire. J’ai appris à accepter que ne pas tout comprendre n’était pas grave, et que le plaisir n’en est que meilleur. Découvrez cette histoire, perdez vous dans les jeux de l’écrivain, puis je vous mets au défi de regarder si vous aviez réellement tout bien compris. Redécouvrez cette histoire à nouveau, car un Faulkner ne se lira pas une fois unique, mais bien deux, trois, quatre fois…