Céline, Henri Godard – 2011 – Ed. Folio, 739 p.
Louis Ferdinand Destouches, de son nom d’écrivain Louis-Ferdinand Céline, continue aujourd’hui à faire débat. S’il est indéniablement un génie de la littérature française, ses positions politiques durant la Seconde Guerre mondiale ont fait de lui un personnage méprisé.
J’ai connu Céline lorsque j’ai passé mon BAC de français il y a presque dix ans maintenant. Ça a été le coup de foudre. La découverte d’un langage unique, populaire, m’a fascinée. Les années passant, j’ai continué d’apprécier ses œuvres et j’en ai toujours une en attente dans ma PAL. C’est pourquoi, lorsque j’ai découvert Henri Godard, je me suis tout de suite intéressée à ses ouvrages.
Henri Godard est un professeur de littérature française et est un spécialiste des œuvres de Céline. Il a rédigé de nombreus ouvrages à son sujet, et notamment cette complète biographie.
Résumé
Céline a révolutionné la littérature française. Par un usage (abusif) de l’argot et des points de suspension, ses œuvres ont rapidement été considérées comme populaires. En effet, Céline était fier de pouvoir toucher une population plus large de lecteurs et d’ainsi permettre un accès à la littérature pour « tous ». Le pari est réussi. Malheureusement, cet homme patriote, bouleversé par les horreurs de la Première Guerre mondiale est effrayé à l’idée d’une deuxième guerre. Il va user de son impact littéraire pour répandre ses idées politiques et va s’allier, à sa manière, à la cause antisémite.
Une enfance calme
Céline est né le 27 mai 1894 en banlieue parisienne, à Courbevoie. Il grandit dans une famille calme et très modeste, où il est dans un premier temps élevé chez une nourrice. Son père travaille dans une entreprise d’assurance, et sa mère tient une boutique de dentelles au Passage Choiseul. Ses parents veulent lui permettre le plus bel avenir et l’envoient à plusieurs reprises en séjours linguistiques en Allemagne et en Angleterre pour développer sa connaissance des langues étrangères.
Au début du XXème siècle, alors que l’affaire Dreyfus se termine, les idéologies antisémites se développent. Des magazines propagandistes apparaissent et se retrouvent dans la famille Destouches, lus par le père de Céline. L’enfant baigne déjà dans un climat antisémite, lors d’une époque où les avis divergent et les extrêmes progressent.
La Première Guerre mondiale : un traumatisme
A 18 ans, le jeune Céline s’engage dans l’armée française. Départ pour le front, il verra en ses camarades une famille et sera blessé à deux reprises. Ses blessures le fragiliseront à vie, notamment au niveau de la motricité de son bras.
Outre ses blessures, l’atrocité de la guerre ne sera pas sans impact sur le jeune Destouches. Cet homme patriote, sensible, sera détruit par la violence, le déchirement de la perte de ses camarades, la déshumanisation des soldats… Il se retrouve impuissant, face à des peuples qui se détruisent, sans réussir à donner sens à ses actes.
Céline va écrire son premier roman, Voyage au bout de la nuit, en s’inspirant de son expérience en tant que soldat. Pour son courage, il sera décoré de la médaille militaire.
Le tournant antisémite
Si Céline semble, jusqu’ici, un être très attachant, victime d’une époque violente et traumatisante, ses actes et prises de position ont fait de lui un être méprisé, dans l’abus, pour finir par devenir la honte de certains amis proches.
En effet, alors que Céline décide de devenir médecin et s’investit pour alléger les souffrances d’autrui, pour accompagner les malades vers une mort plus douce, il va contradictoirement devenir (et se présenter) antisémite. Indirectement, il va encourager le parti qui mènera à la destruction massive de populations juives.
Lorsque Hitler est élu au pouvoir en Allemagne et qu’il commence à mettre en place des mesures restrictives à l’encontre des Juifs, Céline sent l’approche d’une seconde guerre. Malgré le fait que ses actes ne soient pas justifiables, il est important de souligner que sa terreur face à la guerre est un des facteurs de son antisémitisme.
Pour Céline, le Juif est la cause de la guerre qui va arriver si personne ne réussit à apaiser les tensions. Pour des raisons absurdes, les individus de l’époque se permettaient d’accuser les Juifs de vouloir prendre les pays d’assaut, de se répartir partout pour posséder ensuite les territoires. Face à ces propagandes, chacun se montant la tête un peu plus chaque jour, l’antisémitisme se développe à vitesse grand V, permettant à Hitler d’appliquer sa glaçante politique.
La part de Céline dans les actes antisémites est moindre que ce qu’on entend, notamment concernant des accusations (a priori fausse, du moins non relatées dans la biographie) où il aurait dénoncé des Juifs. Néanmoins, il prend part à la rédaction de magazine propagandiste sous forme de lettres envoyées à la direction et se nomme haut et fort antisémite.
Le pouvoir de Céline réside en sa capacité à toucher une large part de la population. Ses écrits populaires sont lus et compris par beaucoup d’individus, notamment des populations modestes qui ont peu eues accès à une éducation. L’écrivain se dit fier de pouvoir ouvrir les yeux à son peuple sur l’antisémitisme et son bienfondé.
Mon avis sur l’œuvre
J’adore les œuvres de Céline. Sa sensibilité et son art de jouer avec les mots et la langue française me touchent. Céline est un écrivain patriote, fier de sa langue dont la mélodie lui manquera durant son exil.
Néanmoins, évidemment, l’homme qu’était en réalité l’écrivain nous pousse à nous poser des questions. Nous sommes aujourd’hui (fort heureusement) très sensibilisés aux atrocités de la guerre et du régime mis en place par Hitler, aux actes de destructions massives d’individus juifs (et pas seulement : des handicapés, des homosexuels aussi, toute tranche de population considérée comme « faible » par des politiques complètement folles). Il nous semble impossible que de telles atrocités aient pu être encouragées.
Céline est un écrivain qui a grandi dans son temps et qui a apporté son soutien à ces horreurs. Ces actes sont impardonnables. Pourtant, et c’est ce qui m’a en partie déplu dans la biographie de Henri Godard, c’est que je me suis sentie au procès de Céline. Alors que j’aurais aimé essayer de comprendre comment une telle époque a pu mener ses idéologies à l’antisémitisme, j’ai été face à un livre complètement partial qui empilait les erreurs de Céline.
Je tiens à préciser que je ne cherche pas à prendre parti, au contraire. Ce qui m’intéresse, c’est de m’imprégner du témoignage d’une époque à ne jamais oublier et à ne jamais reproduire.
Conclusion
Les œuvres de Céline font débat. Aujourd’hui, les politiques se demandent de plus en plus s’il faut ou non, conserver l’admiration des œuvres d’écrivains qui ont pris part à des actes antisémites. Faut-il les conserver au programme de l’Education Nationale ? Peut-on encore les citer dans des discours officiels sans attirer la polémique ?
Ces questions complexes remettent en cause le génie littéraire de certains écrivains. Oui, il est difficile de séparer de nos esprits l’homme de l’œuvre. Pourtant, alors que certains débattent sur l’aspect raciste d’Autant en emporte le vent (Margaret Mitchell), nous ne pouvons que réaliser que ces œuvres sont des témoignages d’idéologies d’époques dépassées. Leur suppression ne mènerait-elle pas à refuser de comprendre les mécanismes d’avant ? L’histoire est précieuse car l’effet d’apprentissage nous permet de ne pas commettre les mêmes erreurs.
Godard nous livre ici une biographie de Céline qui prend la forme d’un procès contre ses agissements. Néanmoins très intéressante, je l’aurais aimé un peu plus impartiale.